Le Télétravail vient chambouler notre rapport public/privé

Le Télétravail vient chambouler notre rapport public/privé

Télétravail : La disruption de salon

Disruption par ci, disruption par là, on en parle, on la voit, et pourtant elle nous échappe. C’est pourtant simple : La disruption c’est quand nos pratiques sont bouleversées par une innovation tellement rapide qu’elle ne nous laisse pas le temps d’en comprendre tous les effets. Nous sommes si vite embarqués que nous avons même du mal à en parler. C’est un peu comme un sentiment général en ce moment, non ? Le télétravail a fait irruption dans notre vie sans que nous n’y soyons préparé.

C’est le cas, avec le télétravail imposé que nous subissons depuis mars 2020.

On ne va pas se mentir, le télétravail nous en rêvions, et maintenant qu’il est là, nous sommes comme le lapin pris dans les phares de la voiture. Incapables de prendre le recul, coincés dans un rythme où notre espace intime s’est réduit comme peau de chagrin, nous avons du mal à comprendre ce qui est en train de se passer.

Alors, un petit « arrêt sur image » s’impose, non ?

La journée typique d’une cheffe de produit commence à 8h30 pour se finir dans le meilleur des cas à 18h. Durant toute cette période, notre « Product Manager » passe de visio en visio, prend quelques notes mais pas trop parce que sinon elle n’a pas le temps de les traiter. Les visios se succèdent aux conférences téléphoniques : points de synchros avec l’équipe, « débriefs » et préparation de la visio suivante.  Son agenda lui impose de ne pas entrer dans le détail des sujets. L’objectif est de s’assurer que les équipes tiendront leurs délais.

Noyée dans son emploi du temps, elle se limite uniquement à contrôler l’activité de ses collaborateurs.

Notre production individuelle est passée au microscope.

Malheureusement, si les uns produisent, les autres ne font que contrôler ce que les premiers ont réalisé. Alors pour éviter de faire face à l’inutilité de leur fonction, ils en font des tonnes : Reporting comme ci et pas comme ça, en vert, en rouge, en bleu, organisation de la semaine de travail le lundi matin et checkup de la semaine passée le vendredi après midi, point de contrôle quotidien à 9h pétante, débrief téléphonique des visios toute la journée, etc…

Si ça convient à ceux qui ne travaillent pas, c’est très invalidant pour ceux qui produisent.

En effet, travailler devient compliqué lorsque les espaces de travail se réduisent comme peau de chagrin. D’autant que la liste des activités qui sont les nôtres ne reflète en rien ce que nous avons à faire concrètement pour réaliser notre travail au quotidien. Soumis à un contrôle poussé à son extrême et au travail qui s’installe durablement dans notre salon, nous devons gérer ces comportements nocifs tout en maintenant l’équilibre de notre foyer. Et surtout, nous devons quand même produire.

Cette impression de vivre dans le dernier reality show peut très vite tourner au « cauchemar en cuisine ». Sauf que là, il n’y a pas d’arbitre, d’œil extérieur sur nos pratiques individuelles et collectives. L’équilibre déjà précaire entre notre vie professionnelle et notre vie privée s’est définitivement rompu ces derniers mois. 

En parler ensemble, c’est vital.

Mais comment, puisque les réunions physiques sont devenues aussi rares qu’une balade en forêt ?

Télétravail : Un impact direct sur notre environnement familial

Les enfants ne comprennent pas que j’occupe la cuisine toute la journée et me reprochent de ne jamais être disponible alors que je me tiens là, au beau milieu de l’appartement.

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un bureau à domicile. Quand les écoles sont fermées ou pendant les vacances scolaires, partager la table de la cuisine devient un calvaire pour la famille.

Je me sens coupable en permanence de ne pas être disponible pour mes proches alors que physiquement je n’ai jamais été aussi présent.

Notre tête est prise par les écarts entre ce qui nous est demandé et ce que nous devons réellement produire pour satisfaire notre employeur. En plus de ça, il faudrait être disponible dans l’instant pour répondre aux attentes de nos proches.

Comme il n’y a que moi qui suis en télétravail, je me sens responsable de tout. Chaque jour est une course poursuite après mon temps, pour faire le ménage, la cuisine, les courses, tout en étant au minimum 8h devant mon écran et au téléphone.

Le télétravail bouscule notre équilibre familial dans la mesure où nous n’y étions pas préparés. L’organisation du foyer est un vrai sujet. Travailler à la maison provoque des situations qui doivent être discutées avec les autres membres du foyer.

Une tension entre le privé et le professionnel 

Ma chef, avec laquelle ça se passait très bien jusqu’à présent, est devenue paranoïaque et fait des tonnes de procès d’intention. Elle n’a manifestement plus aucune confiance en elle, ni en moi et les projets partent en catastrophe… Je suis perdu et ne sais plus comment répondre aux attitudes nocives que je perçois.

La visio et le téléphone empêchent les micro-signaux que nous échangeons quand nous parlons autour d’une table ou au café. L’absence de contact réel, et la situation économique et sociale, ont un impact direct sur notre état mental. La peur et la souffrance engendrent la méfiance, le désarroi, et l’incapacité à gérer la relation. En parler ensemble est vital.

Mon conjoint entend tout ce que je dis et me donne des conseils sur comment répondre à mes supérieurs.

Organiser notre foyer à l’arrivée du télétravail passe également par le fait de définir de nouvelles règles qui ne s’imposaient pas jusqu’alors. Vous seriez-t-il venu à l’idée d’inviter votre conjoint à vos réunions professionnelles dans le passé ? non ? alors, il est temps de poser des limites.

Télétravail : Notre espace social est mis à mal autant que notre espace privé

Dire que par le télétravail c’est l’entreprise qui entre dans la vie privée et s’y arrêter, c’est réducteur et dangereux pour notre santé.

Quand nous parlons de l’endroit où nous travaillons, nous avons pris l’habitude de tout englober sous le terme d’entreprise. Mais ce terme n’est pas représentatif de ce que nous vivons quand nous travaillons. Travailler, c’est interagir avec notre environnement social, les collègues, les supérieurs, les clients, etc. C’est même la principale interaction sociale pour beaucoup d’entre nous, que le travail soit bénévole ou rémunéré.

Télétravail : Une irruption de l’espace social dans notre sphère privée

Travailler, c’est aussi une façon de créer pour la communauté, d’exprimer une part sociale très importante pour l’individu que nous sommes. Alors quand nous télétravaillons, ce n’est pas que l’entreprise qui percute notre vie privée, c’est toute une sphère sociale, de rapports et d’enjeux qui vient envahir notre espace privé. C’est aussi un espace privé, intime, qui vient parfois interagir avec cette sphère sociale qui était jusque là protégée. L’équilibre est vite rompu si on n’y prend pas garde.

Mais ce n’est pas tout.

Le télétravail a gommé toutes les interactions humaines, nécessaires à notre équilibre.

En effet, j’ai beaucoup de mal à m’organiser, mais avant tout, c’est la façon de gérer les relations à distance qui me pose problème. Je suis habitué à prendre le café avec les collègues, à raconter le dernier film que j’ai vu, ou mon crush de la veille.

Tous ces petits échanges qui viennent remettre du lien là où l’organisation du travail les a supprimés, ont disparu. Et puis, après avoir raconté le dernier restau, c’est le dernier projet qui vient occuper l’espace. En conséquence, ces espaces informels n’existent plus, où le travail peut s’accomplir, où on peut échanger avec les collègues sur les problèmes que nous rencontrons les uns et les autres. 

Depuis qu’on a instauré le télétravail en continu, je n’ai plus aucun contact réel avec mes collègues et quand nous avons un peu de temps avant ou après les visioconférences, nous ne parlons plus « vraiment ».

Au final, c’est la sensation d’être de plus en plus seul.e face aux responsabilités professionnelles qui nous met mal à l’aise. Nous avons besoin de sentir que nous en sommes capables, que la phase dans laquelle nous sommes n’est que transitoire et si le télétravail doit se pérenniser comme nous l’avons compris, alors, nous devons nous y préparer.

L’échange de pratiques s’impose

En psychologie, il y a un outil assez simple à mettre en œuvre, qui peut nous faire du bien à tous : Les ateliers d’échange de pratique.

Pour être capable de prendre du recul sur une situation professionnelle quelle qu’elle soit, il n’y a rien de mieux que d’en parler avec nos collègues, ceux qu’on appelle pompeusement « nos pairs ». Et qui sont nos pairs, dans le monde du télétravail ? c’est simple, les télétravailleurs sont tous et toutes des interlocuteurs privilégiés.

Peu importe le secteur d’activité ou le niveau hiérarchique, le télétravail est notre point commun. La seule exigence à imposer : respecter la parole de l’autre et rester bienveillant.

Encore une fois, le collectif est notre planche de salut. Nous pouvons nous épauler les uns, les autres, quel que soit le secteur d’activité. Comment ? en nous retrouvant, quand c’est encore possible, de façon informelle dans les parcs et jardins, dans la forêt, en conservant nos distances de sécurité, et en prenant l’air.

Nous pouvons aussi nous retrouver en visio, parce que l’outil n’est pas responsable de tous les maux. L’outil est aussi un moyen et c’est ce que nous en faisons qui importe. 

Parler de ce qui nous pose problème, c’est souvent commencer à aller mieux.

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